Formé d’un seul proton et d’un seul électron, l’hydrogène est le plus simple de tous les atomes. Dans l’Univers, c’est aussi le plus abondant. Son histoire commence avec celle des neutrons et des électrons, dès les premiers cent millièmes de seconde qui suivent le Big Bang, quand la température, qui n’est plus que de quelque dix mille milliards de degrés est enfin « assez basse » pour permettre aux quarks de s’assembler. Très vite, les nouvelles particules s’unissent pour former l’hydrogène et l’hélium. Avec des proportions respectives de 92% et de 7%, ces deux premiers éléments représentent à eux seuls 99% des atomes de notre Univers. Si l’hydrogène est ainsi formé très rapidement, son futur compagnon dans la molécule d’eau, l’oxygène, n’apparaîtra qu’à la fin du cycle des premières étoiles.
Les premières étoiles se forment à partir de nuages d’hydrogène et d’hélium qui vont leur servir de combustible nucléaire. Ces nuages se condensent sous l’effet des forces d’attraction gravitationnelles entraînant une augmentation progressive de leur pression et de leur température. Quand cette dernière atteint dix millions de degrés, les noyaux d’hydrogène entrent en collision. Comme dans une bombe à hydrogène, ils fusionnent pour former de l’hélium. Cette fusion thermonucléaire transforme une partie de leur masse en énergie rayonnée. L’étoile commence à briller et entre alors dans une longue période de stabilité.
Au bout d’un temps dépendant de la masse de l’étoile, la quantité d’hydrogène finit par s’épuiser mais dans le cœur de l’étoile, les noyaux d’hélium, formés par fusion de quatre noyaux d’hydrogène et donc pratiquement quatre fois plus lourds qu’eux, s’attirent de façon plus intense encore. Le cœur de l’étoile se comprime donc davantage et la température augmente. À 200 millions de degrés une nouvelle bombe thermonucléaire s’amorce, plus puissante que la précédente, qui fusionne les noyaux d’hélium pour former le carbone4. L’émission d’énergie est alors telle que l’étoile se dilate dans des proportions gigantesques et devient bientôt une géante rouge dont le rayon peut être mille fois supérieur à celui de notre Soleil. Si elle est assez massive, l’élévation de température se poursuit, dépasse le milliard de degrés et permet l’apparition d’éléments de plus en plus lourds: l’un des premiers est alors l’oxygène.
Quand la masse de l’étoile est inférieure à huit ou dix masses solaires, ses derniers moments sont relativement calmes: tandis que son cœur s’effondre pour former une naine blanche, ses couches externes sont abandonnées dans l’espace interstellaire. Dans le cas contraire, son déclin est d’une grande violence. Lorsque les réactions thermonu-cléaires s’arrêtent, l’étoile s’effondre sous l’effet des forces de gravitation, réanimant, comme lorsqu’on agite les cendres d’un feu de bois que l’on croyait éteint, quelques dernières réactions restées incomplètes. Ces dernières font pulser l’étoile qui s’écrase ensuite sur elle-même provoquant une explosion extrêmement brutale appelée supernova: brillante comme plusieurs milliards d’étoiles, éventuellement visible en plein jour, l’étoile éjecte autour d’elle tous les éléments qu’elle a créés.
Ainsi les noyaux forgés au cœur de l’étoile au cours des réactions thermonucléaires successives sont-ils disséminés dans les espaces interstellaires, ensemençant l’Univers de tous les éléments formés. Ils se répandent, s’habillent d’électrons, et forment les premiers atomes et les premières poussières cosmiques sur lesquelles vont s’organiser quelques molécules simples. Parmi elles, la molécule d’eau est si facile à construire qu’elle sera bientôt la plus abondante après celle d’hydrogène.
Tous ces atomes et toutes ces poussières constituent de nouvelles nébuleuses d’où ressurgiront bientôt de nouvelles étoiles, mais cette fois, ces nébuleuses ne seront plus constituées uniquement d’hydrogène et d’hélium: elles seront riches de tous les éléments créés et, en particulier, d’hydrogène, d’oxygène et d’eau.
C’est dans une région froide de notre galaxie (une dizaine de degrés absolus tout au plus, soit environ –260 °C), à partir d’une nébuleuse comme celle dont nous venons de parler que va se former notre Système solaire. Le processus de condensation y est identique à celui que nous avons décrit mais, quand s’allume notre Soleil, la matière présente autour de lui est chimiquement beaucoup plus riche. Quand elle n’est pas encore emprisonnée dans la roche, l’eau y est présente à l’état de vapeur ou de glace.
Autour du Soleil, la nébuleuse qui lui a donné naissance a maintenant la forme d’un disque épais de quelques centaines de kilomètres. Elle est constituée de myriades de poussières, de matériaux hydratés, de petits morceaux de roches et de glace qui gravitent autour de lui tout en s’attirant les uns les autres. Ce disque est tellement « peuplé » que les collisions y sont permanentes. Les bolides se rencontrent, se regroupent et s’agrègent jusqu’à former des blocs de quelques centaines de mètres, voire de quelques kilomètres de diamètre. Les plus gros attirent la matière à eux aux dépens des autres et grossissent tout en nettoyant leur route autour d’eux. Ils vont devenir les planètes.
C’est alors que l’eau intervient dans l’architecture du Système solaire. Tout près du Soleil, l’eau n’existe qu’à l’état de vapeur, donc de molécules isolées. Leur masse étant trop faible pour exercer une attraction suffisante, seuls les blocs solides participent de façon significative au grand jeu de la gravitation. Ainsi vont se former les planètes rocheuses – Mercure, Vénus, la Terre et Mars – dites encore telluriques (du latin tellus, la terre) qui mettront entre 10 et 100 millions d’années pour se constituer une masse respectable. De par ce processus de formation, ces planètes ont une masse peu importante mais des densités élevées allant de 4000 à 5500 kg/m3.
Plus loin, au-delà d’une distance appelée «ligne des glaces», la température est suffisamment basse pour que l’eau puisse constituer elle aussi des blocs solides assez massifs pour jouer un rôle dans l’accrétion gravitationnelle : ces blocs qui viennent s’ajouter aux roches errantes, permettent aux planètes de croître plus rapidement et atteindre assez vite une masse capable de capter et surtout de retenir les gaz présents. Ces planètes formées à grande distance du Soleil ont ainsi des masses plus importantes et – à cause de l’abondance de ces gaz – des densités peu élevées de l’ordre de 700 à 1600 kg/m3. Ce sont les géantes gazeuses5 : Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune.
Ainsi la molécule d’eau se forme-t-elle de façon si spontanée qu’elle se trouve pratiquement partout dans l’Univers. À l’origine, elle était certainement abondante sur toutes les planètes du Système solaire, mais, la Terre mise à part, les plus proches du Soleil, trop chaudes ou trop peu massives, n’ont pas pu la protéger et la retenir. C’est la raison pour laquelle elle s’y trouve aujourd’hui en si faible quantité: quelques traces sur Mercure, sans doute apportées par des astéroïdes ou des comètes; quelques réserves sur Mars6; d’infimes quantités dans l’atmosphère de Vénus. Les planètes plus lointaines, au contraire, étaient mieux bâties pour préserver leur eau : on en trouve ainsi sur Saturne, Uranus et Neptune dont les anneaux sont essentiellement constitués de glace. Il y en a aussi sur la quasi-totalité des satellites de Jupiter. Europe et Encelade, respectivement satellites de Jupiter et de Saturne, sont deux exemples emblématiques de ces mondes glacés. Récemment, des émissions de vapeur d’eau ont même été observées sur Cérès, le plus grand corps de la ceinture d’astéroïdes. Bien au-delà de Neptune, les comètes, résidus solides ayant échappé à l’accrétion stellaire et planétaire, sont, elles aussi constituées de glace et de roches en proportions comparables.
Si l’eau existe donc pratiquement partout dans l’Univers, soulignons qu’elle ne s’y trouve qu’à l’état de vapeur ou de glace, car l’eau ne peut rester liquide que dans une gamme de températures très étroite et sous une pression suffisante. La planète Terre apparaît ainsi, au moins jusqu’à présent, comme une oasis pratiquement unique dans la partie de l’Univers qui nous entoure.
Cet article n'est qu'une introduction au livre présenté ci dessous, qui présente quant à lui, une analyse plus avancée du sujet
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Extrait du titre Eau, un élément vital - un trésor menacé
De Jean Marie Vigoureux
Colleciton Quanto
Publié chez EPFL PRESS