En analysant ce que comprenaient mes étudiants à la mécanique de Newton, il apparut clairement qu’ils n’apprenaient pas du tout ce que je voulais qu’ils apprennent. J’aurais pu le leur reprocher si la frustration que le cours de physique générale engendrait chez certains étudiants ne m’avait pas embarrassé. Qu’est-ce qui, en sciences, peut mener à une telle frustration? J’ai décidé de modifier ma façon d’enseigner et j’ai découvert que je pouvais faire beaucoup mieux pour aider mes étudiants à apprendre la physique.

J’ai développé une façon d’enseigner interactive qui aide les étudiants à mieux comprendre le cours de physique générale. Cette méthode, appelée Peer Instruction (instruction par ses pairs), rend les étudiants actifs dans le processus d’enseignement. Elle est simple et – comme beaucoup d’autres l’ont montré – elle peut être aisément adaptée à différents styles de cours. La physique devient ainsi non seulement plus accessible pour les étudiants mais aussi plus facile à enseigner.

Introduction

Le cours de physique générale constitue souvent l’une des plus grosses difficultés que rencontrent les étudiants lors de leur formation. Pour un nombre conséquent d’entre eux, ce cours est une source permanente de frustration. Il suffit que je dise que je suis physicien pour entendre des lamentations au sujet de la physique au lycée ou à l’université. Cet état de frustration vis-à-vis de la physique est répandu parmi les étudiants qui doivent assister à un cours de physique alors que ce n’est pas leur spécialité. Même les étudiants en physique sont fréquemment déçus par leurs cours, et un nombre significatif d’étudiants initialement intéressés par la physique bifurquent vers d’autres disciplines. Pourquoi cela, et pouvons-nous y faire quelque chose? Ou bien faut-il ignorer ce phénomène et centrer son enseignement sur les étudiants qui persévèrent ?

Prise de conscience

La frustration associée aux cours de physique générale est connue depuis l’époque de Maxwell et on en reparle beaucoup depuis que Sheila Tobias a demandé à un grand nombre d’étudiants en lettres et en sciences sociales de faire le bilan des cours scientifiques auxquels ils ont assisté et de décrire leurs impressions. Les résultats de ce sondage sont rassemblés dans un livre qui brosse un portrait sombre des cours de sciences. On peut être tenté de considérer que les doléances d’étudiants non physiciens émanent de personnes qui ne sont pas a priori intéressées par la physique. La plupart de ces étudiants, pourtant, ne se plaignent pas de leurs autres cours qui ne correspondent pas à leur spécialité. En sciences, selon Tobias, on s’attend à voir émerger les meilleurs, le système étant résolument concurrentiel, sélectif et intimidant, conçu pour ne conserver que l’élite.

La manière dont la physique était enseignée dans les années 1990 est peu différente de celle dont elle était enseignée – à un auditoire beaucoup plus restreint et spécialisé – dans les années 1890, bien que le public ait considérablement changé. La physique est devenue essentielle pour beaucoup d’autres disciplines, et les inscriptions en cours de physique se sont multipliées, une majorité d’étudiants ne se spécialisant pas en physique. Cette évolution du public a provoqué une modification profonde dans l’attitude des étudiants et fait de l’enseignement de la physique générale une gageure. Bien que les méthodes conventionnelles d’enseignement aient formé avec succès de nombreux scientifiques et ingénieurs, beaucoup trop d’étudiants sont démotivés par l’approche traditionnelle. En quoi ne convient-elle donc pas ?

J’enseigne la physique générale pour les futurs scientifiques et ingénieurs à l’Université Harvard depuis 1984. Jusqu’en 1990, je faisais un cours conventionnel comportant des leçons illustrées par des expériences. J’étais assez satisfait de mon enseignement – mes étudiants se sortaient bien de ce que je considérais comme des problèmes difficiles, et les critiques qu’ils m’adressaient étaient très positives. À ma connaissance, il n’y avait pas trop de problèmes dans ma classe.

En 1990, cependant, je suis tombé par hasard sur une série d’articles écrits par Halloun et Hestenes qui m’ont véritablement ouvert les yeux. Il est bien connu que les étudiants viennent à leur premier cours de physique avec plein de croyances et d’intuitions sur les phénomènes physiques courants. Ces idées proviennent de leur expérience personnelle et influencent leur interprétation de ce qui leur est exposé en classe. Halloun et Hestenes montrent que l’enseignement ne change quasiment rien à ces «idées reçues». Par exemple, après deux mois de cours, tous les étudiants peuvent réciter la troisième loi de Newton et la plupart d’entre eux savent l’utiliser dans des problèmes numériques. Toutefois, un petit sondage montre rapidement que beaucoup d’étudiants ne comprennent pas cette loi. Halloun et Hestenes présentent de nombreux exemples où l’on demande aux étudiants de comparer les forces que différents objets exercent l’un sur l’autre. Quand on leur demande, par exemple, de comparer les forces en jeu dans une collision entre une voiture et un camion, beaucoup d’étudiants croient fermement que le camion exerce une force plus grande. En lisant cela, ma première réaction a été «Pas mes étudiants...!» Intrigué, je décidai de tester la compréhension conceptuelle de mes propres étudiants ainsi que celle des autres étudiants en physique à Harvard.

La première alerte survint lorsque je donnai le test d’Halloun et Hestenes à ma classe et qu’un étudiant demanda: «Professeur Mazur, comment faut-il répondre à cette question? Conformément à ce que vous nous avez appris, ou selon ce que je pense?» Les résultats de ce test furent un choc: les étudiants ne réussirent pas mieux le test d’Halloun et Hestenes que leur examen de milieu de semestre. Pourtant, ce test est simple, tandis que l’examen porte sur un programme (dynamique des solides en rotation, moments d’inertie) beaucoup plus difficile, du moins je le pensais.

La méthode Peer Instruction

Un des problèmes de l’enseignement conventionnel vient de la présentation des documents. En général, tout est détaillé dans le manuel et/ou le cours polycopié, ce qui peut démotiver les étudiants d’assister aux cours. Une partie du problème provient aussi du fait que le cours consiste traditionnellement en un monologue délivré à une audience passive. Seuls les orateurs d’exception sont capables de capter l’attention des étudiants durant tout un cours. Il est encore plus difficile d’amener les étudiants à tenir un raisonnement critique. En conséquence, le cours conforte la conviction des étudiants que ce qui importe le plus pour posséder une bonne maîtrise du programme est de réussir à résoudre les problèmes. Cela conduit les étudiants à réclamer encore et encore des exercices (pour mieux s’entraîner à les résoudre), ce qui renforce encore leur sentiment que la clé du succès est la capacité à résoudre des problèmes.

Pourquoi faire ce cours ?

La première fois que j’ai préparé un cours de physique générale, j’ai consacré beaucoup de temps à rédiger mes notes que je distribuais à mes étudiants à la fin de chaque séance. Ces notes étaient appréciées car elles étaient concises et elles fournissaient une bonne vue d’ensemble de ce que contenait le manuel.

Arrivés à la moitié du semestre, quelques étudiants me demandèrent de distribuer mes polycopiés à l’avance afin qu’ils n’aient plus à prendre de notes en cours pour y être plus attentifs. Je leur rendis volontiers ce service, et, la fois suivante, je décidai de distribuer toutes mes notes dès le début du semestre. Le résultat, que je n’avais pas prévu, fut que de nombreux étudiants regrettaient, dans leur questionnaire de fin de semestre, que j’enseigne exactement ce qui était écrit dans mes polycopiés !

Quelle ingratitude ! D’abord perturbé par ce manque de reconnaissance, j’ai depuis révisé ma position. Les étudiants avaient raison sur un point: je faisais effectivement cours à partir de mes notes. Et des analyses ont montré que mes étudiants tiraient un faible bénéfice à m’écouter faire cours s’ils avaient lu mes notes avant. Si j’avais eu à faire cours sur Shakespeare plutôt qu’en physique, je n’aurais certainement pas consacré des heures à lire des pièces de théâtre à mes étudiants. Je leur aurais plutôt demandé de lire les œuvres avant de venir en classe et utilisé les heures de cours à discuter des pièces avec eux pour développer leurs connaissances et leur analyse critique sur Shakespeare.

Au cours des années qui suivirent ma prise de conscience, j’ai tenté de nouvelles approches pour enseigner la physique. Je me suis plus particulièrement intéressé aux méthodes centrées sur la compréhension des concepts sous-jacents, sans que soit négligée l’aptitude des étudiants à résoudre des problèmes. C’est ainsi que j’ai élaboré la méthode Peer Instruction, une méthode efficace pour enseigner les concepts de base en physique et rendre les étudiants plus performants sur les problèmes conventionnels. En outre, cette nouvelle approche est à la fois plus gratifiante et elle facilite aussi l’enseignement.

Cette méthode fait encore appel au manuel et aux cours, mais selon un usage différent par rapport à l’enseignement conventionnel. Tout d’abord, les parties du livre à lire avant les cours permettent de présenter le domaine étudié. Ensuite, le cours permet de développer les notions, de souligner les difficultés, d’approfondir les choses, de gagner de la confiance, de traiter d’autres exemples. Pour finir, le livre sert de référence et de guide.

Les questions conceptuelles (ConcepTests)

Les principaux objectifs de la méthode Peer Instruction sont de mettre à profit les échanges entre étudiants durant les cours et de focaliser leur attention sur les concepts de base. Plutôt que de détailler ce qu’il y a dans le livre ou les notes, les cours consistent en de courtes présentations portant sur les points clé, chacune étant suivie de brèves questions conceptuelles portant sur le sujet traité et appelées ConcepTest en anglais. Les étudiants doivent d’abord y répondre en temps limité, puis on leur demande de discuter ensemble de leurs réponses. Cette façon de procéder (a) oblige les étudiants à réfléchir aux arguments qui leur sont présentés, et (b) leur fournit (ainsi qu’au professeur) un moyen d’évaluer leur compréhension du concept.

Chaque question conceptuelle obéit au schéma général suivant :

- Question posée: 1 minute

- Temps de réflexion pour les étudiants: 1 minute

- Les étudiants rédigent individuellement leurs

réponses (facultatif)

- Les étudiants essaient de convaincre leurs voisins

(instruction par ses pairs): 1 à 2 minutes

- Les étudiants rédigent leurs nouvelles réponses

(facultatif)

- Retour de l’information au professeur:

bilan des réponses

- Explication de la bonne réponse: ~ 2 minutes

Si la plupart des étudiants ont trouvé la bonne réponse à cette question conceptuelle, on peut passer à la notion suivante. Si le pourcentage de réponses correctes est trop faible (moins de 30%), je ralentis, explique de façon plus détaillée cette notion, et pose une nouvelle question conceptuelle sur cette notion. Avec cette approche où l’on explique autant que nécessaire une notion, on évite qu’un fossé ne se creuse entre ce que les étudiants comprennent et ce qu’attend le professeur – un fossé qui, une fois formé, ne peut que s’élargir avec le temps jusqu’à ce que toute la classe soit perdue.

Prenons un exemple : la poussée d’Archimède. Je fais d’abord cours sur cette notion pendant 7 à 10 minutes – en insistant sur les idées et les concepts sous-jacents tout en évitant les équations et les mathématiques. On peut agrémenter cette leçon d’une expérience (par exemple avec un ludion, ou «plongeur cartésien»). Puis, avant de passer à la notion suivante (le principe de Pascal), j’utilise le rétroprojecteur pour montrer la question présentée à la figure 2.1.

                                                                                              

Je lis la question aux étudiants afin de m’assurer qu’il n’y a pas de malentendu. Ensuite, je leur signale qu’ils ont une minute pour choisir une réponse – plus de temps leur permettrait de se replonger dans les équations plutôt que de réfléchir. Puisque je veux que chaque étudiant réponde individuellement, je ne les autorise pas à discuter entre eux et m’assure que le silence règne dans la classe. Au bout d’environ une minute, je consigne leurs réponses et leur demande d’essayer de convaincre leur voisin que leur réponse est la bonne. Je participe toujours aux discussions qui suivent en me joignant à un petit groupe d’étudiants. En procédant ainsi, je peux évaluer les erreurs faites et voir comment les étudiants qui ont la bonne réponse s’y prennent pour la justifier. Au bout d’une à deux minutes, je leur demande de reconsidérer leurs réponses. Je retourne alors vers le rétroprojecteur et fais l’inventaire des réponses à mains levées. Les résultats pour la question de la figure 2.1 sont présentés à la figure 2.2. Bien entendu, je ne disposais pas en classe de l’analyse des résultats tels qu’ils apparaissent à la figure 2.2, mais le sondage à mains levées juste après la discussion entre voisins révélait une large majorité de réponses justes. Je ne prends dans ces cas-là que quelques minutes pour expliquer la bonne réponse avant de passer à la notion suivante.

                                                                                                          

Les discussions entre voisins augmentent systématiquement le pourcentage de bonnes réponses et le degré de certitude des étudiants. La progression est en général plus importante lorsque le pourcentage initial de bonnes réponses est d’environ 50%. Si ce pourcentage est beaucoup plus grand, seule une légère progression est encore possible; s’il est beaucoup plus faible, il n’y a pas assez d’étudiants pour convaincre les autres de la bonne réponse.

Cet article n'est qu'une courte introduction au livre présentéci-dessous, comprenant quant à lui une analyse complète du sujet.

Pour en savoir plus : Le monde de l’enseignement connaît aujourd’hui une évolution majeure. Les MOOCs (Massive Open Online Courses) et l’accès à l’éducation sur Internet ont rendu caduque la posture académique traditionnelle de l’enseignant. Celui-ci doit désormais réfléchir à de nouvelles stratégies, lui permettant de développer de façon mesurable la qualité de l’expérience d’apprentissage de ses étudiants. La méthode Peer Instruction développée à Harvard par le professeur Eric Mazur répond à ce besoin, en positionnant l’enseignant dans un rôle d’accompagnateur d’acquisition des concepts. Cette méthode a fait ses preuves, grâce à son approche innovante basée à la fois sur un modèle de classe inversée (flipped classroom) et d’enseignement interactif entre pairs. Ce manuel, concis et pratique, expose le concept de la méthode, en détaille les éléments clés, et propose de nombreux exemples de questions permettant de développer l’interactivité au sein du groupe; il est par ailleurs richement augmenté de matériel didactique pour la physique et de quiz. Une référence internationale en langue anglaise, déjà traduite en mandarin, en coréen et en espagnol. Traduction française de la version américaine par Vincent Faye et Sébastien Bréard, professeur de physique au lycée Victor Bérard, à Morez.

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Extrait du titre Peer Instruction
Publié chez EPFLPRESS